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Emeline Michel, Révérence : Du personnel à l'intime

Dernière mise à jour : 18 déc. 2023

Par Vallès Latry

C'est une Emeline Michel pétrie de gratitude et bien imbue de ses limites qui nous livre son 10e opus studio intitulé Révérence. Il existe au moins deux façons de considérer une révérence. Dans son sens premier, c'est une façon de se retirer, de dire au revoir, de partir en saluant tandis que dans une seconde acception, c'est une manière de rendre hommage, de manifester du respect.

 

La duplicité du propos est à souligner. Elle exprime tout le doute qui habite l'artiste qui a chanté son pays depuis ses premières armes avec Ayiti peyi soley (1987) et qui le voit malgré tout sombrer dans une espèce de chaos qui menace de tout aspirer, les êtres, les âmes comme les rêves qu'il a générés.  Une duplicité qui induit aussi un questionnement, une forme d'introspection sur notre valeur intrinsèque en tant qu'Haïtien et citoyen du monde et sur une note plus lumineuse l'espoir, une profession de foi et une promesse d'engagement indéfectible.

 

Emeline Michel n'a eu de cesse au fil de presque quatre décennies de carrière de se livrer peu à peu à un public avec lequel elle a su établir une connexion forte, par sa musique sur disque comme sur scène mais aussi par l'authenticité et la sincérité du message qu'elle porte jusque dans sa vie civile à travers ses nombreux engagements sociaux et ses prises de position médiatiques toujours mesurées et réfléchies.

 

Morceau par morceau, elle a offert des petits bouts de son histoire personnelle notamment à travers des pièces comme Nino (yon jou konsa) qui expose des images de son enfance à Dubedou; Flanm, Pa gen manti nan sa, Rhum et flamme et San ou qui toutes font référence à sa relation amoureuse avec son ex-mari Ralph Boncy; Le poisson de nuage qui raconte la disparition soudaine de son père; Moso manman et Jodia dédiées respectivement à sa mère et à son fils Julian, pour ne citer que ces exemples.

 

L'artiste a toujours privilégié des thématiques particulières pour rassembler sous un seul parapluie les sujets qui lui tiennent à cœur, la famille, Haïti, sa foi en Dieu ainsi que des thématiques sociales comme la violence faite aux femmes (Djanie, Quintessence), les enfants (Timoun, Quintessence), la drogue (écoute-moi, Cordes et âme), le sida (zikap, Reine de cœur), etc. La chanson de Jocelyne et Yon fi kon Magali (Tout mon temps) témoignent toutes deux d'ailleurs de l'acuité du regard et de la sensibilité de la jeune artiste qu’elle était et dont Emeline a fait montre tout le long de sa carrière quand il s'agit de décrire les enjeux vécus par la jeunesse, sa jeunesse.

 

Emeline a déjà chanté « Sèl verite k ap toujou rete, se lanmou », extrait de Bò kote w qui figure sur Reine de cœur (2007) et dont le message est réitéré dans Timoun (Quintessence, 2013, coécrit avec Ralph Boncy) dans lequel elle affirme que « tout sa k soti nan lanmou, pa gen danje ». Il nous parait clair que le fil conducteur de sa carrière a toujours été l'amour comme vecteur principal pour remettre à l'endroit ce monde dont les valeurs fondamentales palissent et disparaissent par grands pans. Dieu étant amour, le début et la fin, il devenait de plus en plus naturel que révérence lui soit rendue à travers un projet dont le sujet unique serait la foi comme dénominateur commun.

 

Avec Pou la vie na rive (Rhum et flamme, 1993), Emeline chantera sa première prière sur ses albums. Elle enchainera avec Pè letènel (Cordes et âme, 2000), puis avec Beni Yo et Ban m la jwa (Rasin Kreyòl, 2004). Sur ses deux précédents opus, on retrouve Incha'Allah (Reine de cœur, 2007) et Mèsi lavi, son nouvel hymne depuis 2013, année de publication de Quintessence.

 

Signe d'une introspection aboutie, Révérence est le résultat de cette démarche spirituelle entamée depuis des lustres et qui prend tout son sens dans ces instants d'incertitude vécus autant par notre nation que par ce monde qui marche sur la tête.

 

Avec Révérence, Emeline se met à nu et se débarrasse à coups de rimes, de rythmes et de mélodies de tous les artifices qu'on lui a affublés au fil de sa carrière en se positionnant comme une authentique haïtienne, fière de son histoire et de son héritage culturel. Révérence est à ce titre la synthèse de ce cheminement spirituel, mais aussi artistique et citoyen. Cet album met en évidence à la fois le caractère singulier de l'artiste à travers son parcours transverse et pluriel et exprime toute la difficulté pour une personnalité publique de cette envergure de rester à flots sur le long terme.

 

L’album

 

Les spéciales

 

Révérence regroupe 17 titres dont une intro (Offrande) et un interlude (Mwen bezwen w isi senyè). Emeline a souhaité gâter son public en lui offrant des propositions variées dans les arrangements vocaux et rythmiques des pièces Que ton règne vienne (rebaptisée Non nou pap pèdi) et Testify (renommée My God). Tantôt une version épicée à l’africaine, tantôt macérée dans une sauce plus locale voire caribéenne, un brin plus dépouillée mais tout aussi succulente dans l'approche vocale avec notamment des chœurs d'une justesse et d'une précision inégalables.

 

Emeline gratifie de plus son public de deux reprises du répertoire traditionnel, Pésonn pa janm renmen mwen, une ballade accompagnée au piano par Yayoi Ikawa et Entre tes mains avec le saxophone sobre et planant d’un Godwin Louis. Magique.

  

Les singles

 

Certaines pièces étaient déjà connues comme Chanjman publiée durant la pandémie en 2020, jan mwen ye (2021), Fòs (2022) et Paix y soit (début 2023). Le public les avait déjà découvertes, elles sont toutes vidéoclipées mais elles s'emboitent à merveille au projet final duquel se dégage une force indicible qui instille un état de bien-être à chaque écoute.

 

Les découvertes

 

Pour les fans finis, c'est l'occasion de découvrir les petites surprises de la Reine. Envokasyon (Sentespri), une ballade bien inspirée, pétrie d'émotions et d'humilité. I praise, lumineuse à souhait dont le clip qui sort bientôt est filmé en Martinique. Une explosion de couleurs et de gratitude. Mwen bliye danse, très caribéen et dansant enregistré au Centre communautaire Gérald Jean Juste avec la participation aux claviers et aux arrangements de Milot Eliassaint et aux chœurs des jeunes du camp d’été de Oak Groove (Miami). Une invitation à célébrer et un produit d’un atelier de travail avec ces jeunes. Et enfin, Walk with me, un vieux négrospiritual bien senti, très profond auquel Emeline ajoute des paroles traditionnelles et arrangé par Mushy Widmaier.

 

Ban m la jwa est la petite intruse de la bande. Une version entièrement dépouillée mais tout aussi entrainante avec aux choeurs et aux arrangements vocaux Branley Midoin, le même qui a su égayer par sa voix la pièce Ban m pase sur l'album du meme nom. Ses chœurs illuminent le morceau et servent la puissance et la fêlure qui cohabitent à la fois dans la voix d'Emeline.

 

En résumé

 

Révérence, par la profondeur de son propos est un « éclat de rire pour habiller la vie », une manière élégante de faire un pied de nez au mauvais sort qui couvre le monde. C’est aussi une note d’espoir et une expérience musicale unique à laquelle Emeline Michel convie sa bande de joyeux lurons pour former ce cercle parfait dessiné à grands traits par un foisonnement d’émotions positives et dont le dénominateur commun est l’AMOUR.

 

L’album est disponible sur toutes les plateformes de streaming et de téléchargement. Une version hard sous forme d’une cassette dans laquelle est insérée une clé USB, est également disponible sur commande à l’adresse higherstate9music@gmail.com pour les collectionneurs et les puristes. Cette version contient tous les crédits ainsi que des photos additionnelles prises en studio.



 

Pour en savoir plus sur Emeline, sa famille, sa foi, les pensées qui l'habitent et l'album, une conversation en 3 chapitres avec moi sur sa page Youtube, cliquer sur le bouton ci-dessous:





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