Les Archives de Nationsoleil | Cinéma | Publié le 3 octobre 2010
Parmi tous les genres cinématographiques connus, deux sont particulièrement prisés en Haiti, le genre documentaire et la fiction rebaptisée dans le contexte local cinéma populaire. Le film documentaire a été à l’origine de l’émergence du cinéma en Haiti voilà plus d'un siècle, l’a porté à bout de bras pendant des années lorsque les productions de fiction étaient rares et lorsque celles-ci en étaient à leurs premiers balbutiements.
Aujourd’hui, malgré l’explosion du cinéma de fiction et de la grande popularité dont il jouit autant au pays que dans la diaspora, le documentaire continue de bénéficier d’un prestige immense du fait de la personnalité des artisans qui en sont les auteurs mais surtout des thèmes traités. En dépit du fait qu’un documentaire soit reconnu comme une véritable œuvre de création, beaucoup le créditent parfois à tort, d’une grande objectivité. Le documentaire haïtien traitant de tout un éventail de sujets touchant autant aux arts, à la culture qu’à la paysannerie et à la politique, il constitue une source d’information de choix pour qui veut saisir l’essence même des modes de vie haïtiennes. C’est une fenêtre par laquelle nous entrevoient les étrangers et ceux-ci contribuent, sans doute plus que les autochtones, à l’enrichissement global du cinéma haïtien.
Arnold Antonin, Rachel Magloire, Laurence Magloire, Frantz Voltaire… font tous du cinéma militant dit-on. On parle aussi de cinéma d’opinion parce qu’à travers leurs œuvres, ils préservent d’une façon ou d’une autre la mémoire collective haïtienne.
Pour un pays à tradition orale, même à l’heure des Technologies de l’information, de
nombreuses failles persistent quant à la connaissance de la culture haïtienne par ses ressortissants et l’accès aux données qui existent est passablement restreint. Aussi, lorsqu’un cinéaste produit un documentaire sur le phénomène du rara, du konbit, d’une cérémonie vodou, du commerce informel ou sur la façon haïtienne de vivre l’homosexualité, la prostitution ou la discrimination…, on ne peut qu’apprécier l’effort, même maladroit dans certains cas, même incomplet ou sensationnaliste.
Rigueur intellectuelle, manque de financement, défaut de connaissances techniques ou pédagogiques sont autant de facteurs connus entachant la qualité du travail des artisans œuvrant dans ce domaine, mais l’idée de base reste louable et mérite toute notre compréhension.
On comprend moins en revanche l'incapacité du cinéma de fiction d'adresser des sujets allant au-delà des drames sentimentaux abordés de façon irrémédiablement linéaire, des méfaits du vodou souvent traités de façon affreusement caricaturale ou des scènes de notre paysannerie souvent peintes des teintes les plus grossières.
Quelques-uns me diront que ce n'est que du cinéma et ils auraient bien raison. Cependant, une population haïtienne tellement surexposée aux faits culturels étrangers, tellement perdue dans les brumes d'une globalisation débridée, tellement dispersée aux quatre coins du monde avec des points d'ancrage identitaires aussi fuyants que le regard d'une épouse prise en faute, mérite un bien meilleur traitement.
Et c'est ici que se pose la cruciale question de l'imputabilité historique et sociale de l’artisan du cinéma, du vidéaste, du faiseur de films..., appelez-le comme vous voulez.
Inconscient du pouvoir dont il est le détenteur, il terrorise les jeunes esprits servant sans répit la même soupe avec des épices un rien différentes. Des historiettes, des contes de fées mille fois rebâchés ou des distorsions sociales flagrantes truffés d’incongruités, d’invraisemblances et qui puent à mille lieux la paresse professionnelle. Résultat, une identité factice, forgée à coups d’images sans relief, incolores, qui projettent une fausse représentation de l’haitien, plus que jamais en mal de références.
Loin de savoir laisser nos marques dans le village global dans lequel nous évoluons désormais, nous donnons le sentiment d’être là sans y être. Incrédules, nous assistons impuissants à notre décrépitude, surpris de n’apercevoir que les contours flous de ce que nous fûmes. Réfugiés dans un passé où nous ruminons nos prouesses artistiques et les autres, mais en ayant conscience que nous ne saurons jamais les répéter. Une gomme invisible nous altère peu à peu et dans quelques temps nous effacera de la carte.
Et tous, nous contribuons à entretenir cette pale copie de l’haitien.
Vallès Latry
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