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Photo du rédacteurVallès Latry

Caribbean Sextet, une incursion mille émotions

Les Archives de Nationsoleil | Musique | Publié le 6 décembre 2011

À Tara's la sapinière





Pour parodier une publicité pour une célèbre marque de voiture en Haïti : Vous en rêviez, Gilles Malval (promoteur de la soirée) l’a fait!


Ce qui paraissait relever d’une chimère s’est réalisée le samedi 3 décembre 2011 à Tara’s la Sapinière dans les hauteurs de Pétion-Ville. Le Caribbean Sextet, absent de la scène musicale depuis une quinzaine d’années, laissant orphelins les amoureux de la bonne musique, a tenu une soirée de gala dans ce cadre idyllique, servi par une température clémente et fraiche. Comme pour rendre hommage aux étoiles de la soirée, un ciel étoilé agrémente ce rendez-vous d’une ambiance incitant à la poésie.


En pénétrant dans l’enceinte du Tara’s et en voyant des centaines de gens parés de leurs plus beaux vêtements, le ton était donné pour une soirée inoubliable. La question de la performance musicale ne se posait même pas, car tous les anciens du Caribbean Sextet sont toujours très actifs aux quatre coins du monde.


Introduite par un maitre de cérémonie, Réginald Lubin, en tenue de gala (costume noir et nœud de papillon), la soirée s’annonçait belle. Réginald Lubin, est, à n’en point douter, un des meilleurs du pays, à l’ancienne, comme on n’en fait plus. Sans fioritures ni inflation de langage (inutile), il évoque les beaux moments qu’a fait vivre la formation musicale et les bonnes heures qu’elle a insufflées à la musique haïtienne. Alors que la nostalgie commençait à s’emparer de la foule nombreuse, il introduit les musiciens du groupe, un à un, sous les vivas des admirateurs déchainés.


Réginald Policard, le maestro (piano), sans doute crispé par ce moment important et l’émotion apparait un peu raide, Toto Laraque (guitare) égal à lui-même détendu comme un poisson dans l’eau, Boulot Valcourt (lead vocal) majestueux dans son smoking blanc, chemise et pantalon noirs, nœud de papillon blanc ainsi que Lionel Benjamin vêtu pareillement font leur entrée sous les applaudissements. Joël Widmaer (batterie) toujours aussi timide file tout droit à son instrument de même que Richard Barbot (basse). Claude Marcelin, toute joie contenue salue l’assistance et empoigne sa guitare tandis que William Jean rejoint ses percussions. Les maitres des cuivres que sont Tom Mitchell (Sax et Flute), Jean Caze (Trompette), Almonor (Sax) et Ken Watters (Trompette) entrent sur scène avec la promesse d’accomplir des prouesses.

Nostalgie, a-t-on dit?


Ce mot est peut-être valable pour les admirateurs, mais il n’en fut rien pour la musique du Caribbean Sextet qui n’a pas pris une seule ride. Au contraire, aux premières notes, cette musique, déjà avant-gardiste dans les années 70 et 80, résonnait dans les sens comme la quintessence du compas. Agrémentée de jazz, de Bossa Nova et autres influences latines, elle n’a d’égal que celle jouée par les Magnum Band, Zèklè, Mini All Stars, dans une moindre mesure le Skah Shah de la grande époque et quelques rares autres. L’assistance composée en grande partie de Sexa, de quinqua et de quadra revivait des moments fabuleux de leur jeunesse ou leur adolescence, quand on ne sortait pas le soir avec la peur au ventre. Quand les pattes d’éléphants côtoyaient les coiffures Afro. Bref, quand la vie était belle, sans grands soucis et que la jeunesse paraissait éternelle.


Forte dose, vous avez dit?


Les difficiles de Pétion-Ville, durant l’été 2011, avaient ouvert la voie à la tendance du retour en force de ces groupes qui ont vu le jour dans les années 70 et 80. Outre le Tabou Combo qui n’a jamais baissé pavillon, le come back des Zèklè, Bossa Combo il y a 2 à 3 ans et l`’immense succès qui s’ensuivit est le symptôme d’un certain ras-le-bol qui s’empare de la musique haïtienne depuis quelque temps.

Comment comprendre que les gens de cette tranche d’âge ne puissent se reconnaitre dans les groupes aujourd’hui ainsi que leur musique au point que chaque retour d’une des formations précédemment citées se transforme en véritable raz-de-marée?

Comment expliquer ces commentaires entendus ca et là sur les envies de sorties (et de dépenser, car cette génération est pourvue d’un très grand pouvoir d’achat) qui ne se concrétisent jamais à cause de l’offre trop pauvre?


Pendant ce temps, dans les hauteurs de Laboule 12, au fil des titres qui s’égrenaient de La pèsonn à Tant Nini en passant par Madougou, Lavironn Dede, lese m Viv, Vin avè m ou la Chatte de Fifi, l’on se rend compte que ces virtuoses n’ont rien perdu de leur art. Reginald réalisait des merveilles au piano, Toto toujours aussi inspiré et gouailleur, Ti Claude égal à lui-même, Joël impeccable de précision, Richard Barbot fondu comme un caméléon dans cet environnement, Boulot et Lionel qui, malgré le poids des ans et la voix qui s’étiole un peu ont su tenir la route avec une maestria extraordinaire. Le petit invité, fils du père, Steve Valcourt, qui n’a nullement fait honte au paternel. William toujours aussi juste aux percussions. Et que dire de la ligne des cuivres? Tout simplement épatant!!! Tom Mitchell, le vieux routier (arrivé en Haïti dans les bagages de Dadou Pasquet et du Magnum Band en 1982 et désormais mêlé à toutes les bonnes sauces), Jean Caze excellentissime, Ken Watters épatant et Almonor qui n’a pas démérité. Cette ligne a porté la musique du Caribbean tel un hors-bord effleurant la surface de l’océan à toute vitesse.


Tandis que la piste de danse ne désemplit jamais, des dizaines de « groupies » femmes et hommes s’amassaient devant la scène pour chanter à tue-tête les paroles de tous les titres et aussi, chose rare, mimer toutes les notes, tous les solos au piano, aux cuivres, à la guitare, à la basse. C’était tout simplement féérique et grandiose.


On dirait des jeunes enfants privés de sorties depuis des lustres et qui font provision de plaisir et de jubilation pour les moments de disette à venir. Pour preuve, un commentaire récurrent dans toutes les conversations : « se yon plak kap jwe la wi » (On dirait un disque qui se joue).


Les vieux musiciens n’ont, pour la plupart, pas pris de bide et n’ont rien perdu non plus de leurs ressources. La jeunesse n’a qu’à se mettre à l’école de ces talentueux musiciens qui manquaient tellement à la musique haïtienne.


Pourquoi est-on de nos jours exposé à tant de médiocrité et de désinvolture? Ce délitement de la musique haïtienne a suivi la dégringolade du pays depuis 1986 et la « révolution » qui était censée nous libérer. De quoi? De qui?

On peut penser légitimement que la panacée n’est pas nécessairement dans le retour de formations telles que les Difficiles de P.V, Zèklè, Caribbean Sextet, Bossa Combo, les Frères Déjean, mais en regardant la faiblesse ambiante (à part deux ou trois groupes qui soignent leur musique), on peut être tenté de franchir le pas aisément.


Même à la pause (30 à 40 minutes), la musique des D.J très inspirés a eu beaucoup de succès. La fraicheur de la nuit aidant, les couples n’ont pas cessé d’esquisser des pas qu’on avait presqu’oubliés tant le moment actuel est au « klere bouk sentiron » (danser serré collé)

La fumée de cigarettes montait dans l’air tel des vestiges d’un temps révolu. Émoustillés par cette liberté retrouvée et par l’ambiance décontractée, des couples de tous âges se fondent en confidences. Témoin, une femme d’une cinquantaine d’années racontant qu’elle n’est pas sortie danser depuis 15 ans et qu’elle ne rentrera chez elle qu’au petit jour.


Alors que la soirée du 3 décembre faisait le plein d’ambiance avec notamment Jah NESTA et Alpha BLONDY au Parc de la Canne à Sucre et les Sheu Slheu de la bande à Zouzoule au Ritz Kinam, Tara’s s’était, elle, parée de ses plus beaux habits pour recevoir l’un des groupes les emblématiques de la musique haïtienne.


Tandis que le gala a été marqué par une bonne prestation de Steve Valcourt aux chœurs mais aussi accompagnant son père pour l’interprétation de « Carole Chérie » et Mika Benjamin le sien pour « Ou kite m w ale », des photos souvenir de l’ancienne époque défilaient sur fond de deux écrans géants. Alors que le public jubilait aux premières notes du grand final apporté par « la chatte de Fifi » et les grivoiseries de Toto Laraque, le parfum enivrant des sapins et des grenadiers fait remonter à la mémoire les paroles tout aussi enivrantes du classique « Chita tande » pour un public encore dense.

Si m ta konte tan ki pase

Depi premye jou mwen jwe

Bweson koule renmen kase

Pandan pis y ap vire

Tankou yon bèl karousèl

Konbyen istwa k defile

Pandan m t ap jwe


Mizik pou moun ka danse

Melodi ke yo koute

Pawòl yo pa janm tande

Wi si m ta konte tout istwa ki defile

Nou ta chita tande


Nou bat bravo Monte drapo

Ochan ak kout chapo

Mòn yo chanje

Bèl cha pase mizisyen pèsiste

Anpil ladan yo ale

Yo di pa gen anyen k serye

Toutan m t ap jwe


Mizik pou moun ka danse

Melodi ke yo koute

Pawòl yo pa janm bliye

Wi si m ta konte kantite tan ki pase

Nou ta chita tande

(Lese mwen viv , 1989, Melodie Makers)


Sur le coup de 3h30 A.M, tel Cendrillon, sous le coup de minuit, le Caribbean Sextet s’en alla laissant encore une fois orphelins ses admirateurs, mais avec la tête et le cœur remplis de merveilleux moments qu’ils garderont jusqu’à la prochaine. Pour quand, déjà!


GRL

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