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Beethova Obas : Le futur aux mille couleurs

Photo du rédacteur: Vallès LatryVallès Latry


Publié en avril 2011


On est tenté de dire que Beethova livre là son meilleur matériel depuis le début de sa carrière, mais ce serait minimiser la portée signifiante de son œuvre. Depuis le Chant de liberté (1990), l'artiste n'a pas dévié de sa ligne directrice. Fondues dans un même creuset, on y retrouve sonorités caribéennes et latines mâtinées de jazz, le tout macéré dans des rythmes proprement haïtiens dérivant du folklore et des rythmiques plus populaires comme le konpa et le twoubadou.

Comment s'y prend-il pour redonner à chaque fois une couche de fraicheur à sa formule sans jamais verser dans la monotonie et la recette remâchée ? Lui seul a le secret. Nous constatons seulement que la formule fonctionne à merveille pour le plus grand bonheur de ses fans et des amants de la bonne musique.

Sur ce projet, Beetov s'est encore une fois entouré de ses amis Antillais, des musiciens de haute volée sur lesquels repose sa structure musicale. Depuis Si (1995), ils sont les peintres qui teintent ses œuvres de ces mille couleurs. À titre d'exemple, les frères Fanfant, Jean-Philippe et Thierry (batterie et basse), José Zébina (Batterie) Jean Marc Albicy (basse), Dominique Bérose (piano), Tony Chasseur (chœurs). Mais aussi, Dominique Fillon (piano), jazzman français, frère de François Fillon, le premier ministre de la France. Et bien sûr, plusieurs artistes haïtiens de renom collaborent également à ce projet, l'inévitable François Sergo Decius (Meyève), Fabrice Rouzier, Azor , Jowee Omicil et Alan Cavé, entre autres. Et enfin et elle est de taille, la participation remarquable de l'orchestre philharmonique de Wroclaw (Pologne) qui intervient sur quatre des douze pièces qui composent l'album. Superbement arrangées, ces cordes ajoutent de la profondeur aux compositions de Beetov et leur confèrent un prestige dont peu d'artistes haïtiens peuvent se prévaloir.

Bravo Beetov! Morceau par morceau


Bravo Manman Une douce mélodie, dépouillée, claire-limpide qui met en valeur la voix de Beetov. Le texte est d'une simplicité rare, chaque mot est à sa place et chaque note, un régal. La délicatesse des violons ficelle l'ensemble. Les mamans viennent de trouver leur nouvel hymne.


Rara bwa Verna (ti papa) Foula est passé par là. On pense inévitablement à Tite Pascal, à Chico Boyer et leur bande, aux temps bénis de la création musicale, à l'époque où ces magiciens faisaient pleuvoir leurs sons sur la cité. Véritable coup de cœur. Ce morceau à l'allure revendicative, mais à la fois festive est un pur bijou de rythmiques et de mélodies déclinées tout en finesse. J'ai toujours adoré la sonorité nasale presque feutrée de Beetov qui, sans forcer, se pose sur la musique et oppose un contraste succulent avec les chœurs qui voguent plutôt vers les aigus. Et quels chœurs! Normalement, les sambas se font plutôt emphatiques sur ce genre de rythmiques, éloquents dans leur phrasé. Mais là, c'est le complexe qui flirte librement avec la simplicité. Un beau tableau tout en contraste comme seul sait les peindre Beetov.


Ti papa Pendant twoubadou de la version rara. Un brin plus lent. Moins éclatant, moins dynamique, mais incontestablement plus viril avec un chœur essentiellement masculin et plus tropical. Beetov reste fidèle à ses racines de grand troubadour national. La légèreté de l'accordéon, omniprésent, atténue la rusticité volontaire du morceau plus couleur locale.


Lavi Ce n'est pas une première collaboration pour les deux frangins. On les écoute à chaque fois avec un égal bonheur bien qu'au fil des années, on ne peut s'empêcher de relever la voix altérée de Manno, sans doute par manque de pratique… et l'âge. Beetov prend les grands moyens. Une intro de l'orchestre symphonique de Varsovie bientôt relayé par la guitare acoustique de Beetov. Konpa s'il vous plait, lent et groovy, sans flafla. Et de belles harmonies vocales, la clé qui a toujours fait de ces collaborations entre frangins un succès. Le drame d'Haïti, l'exil, l'immigration sont exposés en quelques lignes. Juste un constat. Cette pièce ne résout rien, elle ne fait que ressasser un problème mille fois rabâché, mais elle laisse rêveur. L'éternel appel au rassemblement auquel personne ne répond plus reste cependant de mise.


Latino Moon A-t-on déjà entendu Beetov en anglais? Mes souvenirs ne me ramènent rien. En digne successeur d'Henri Salvador, l'artiste réussit à distiller une gaité non feinte à une pièce qui se voudrait mélancolique. Cette composition de Mister John est un savant mélange de rythmes tropicaux (calypso, rumba…) ponctués d'une trompette mariachi qui évoque le sable à perte de vue et le soleil scintillant sur les vagues légères d'une mer paresseuse d'un après-midi bien entamé. Les riches accords de la guitare renvoient à couleur café et portent la signature incontestable d'un des maîtres de la romance créole. (Ici la langue importe peu). Dominique Bérose surfe comme à son habitude sur les vagues harmonieuses qui toutes s'écrasent aux pieds nus des dames coiffées de larges chapeaux de paille qui leur donnent des airs de madones tropicales.

Futur Un rythme cassé, syncopé, très caribéen, un mélange de lente mazurka et de konpa à la Beetov décliné sur des accents jazz (piano) et de Bossa Nova (guitare). Un beau duo qui met en vedette un jeune artiste fortement influencé par le ton plutôt langoureux presque nonchalant de Beetov. Les chœurs portés par des voix très jeunes aussi expriment à la fois lassitude par la tonalité et conviction par le message. Le futur en l'occurrence est celui des enfants d'un pays où ils ont perdu leur innocence et leur insouciance, exposés et livrés aux prédateurs de tous poils.


Doux souvenir Les époux Obas, Dominique et Beethova s'associent à l'écriture de cette pièce. Une déclaration d'amour comme seule Haïti sait les inspirer. Ironie du sort, le pays le plus chanté par ses artistes est le plus pauvre de l'hémisphère. Bref, joliment arrangée, cette version succède à celle interprétée par nul autre que le génial Ralph Thamar sur le projet «Atis pou Ayiti», cadeau de Beetov à son compère des premiers balbutiements Alex Villier de Muzik Arts. Les deux versions s'écoutent avec un égal plaisir, mais on ne peut s'empêcher de relever la note mélancolique dans la voix de Beetov, presqu'une larme versée sur une Haïti qui déchante. Tandis que la voix-soleil de Thamar recelait encore en ces temps-là une once de gaité. Illusions perdues, rêves froissés.


Gòl la Prêcher dans le désert. Ces artistes qui persistent à porter un message qui se perd dans le vent. Avancer dans du sable mouvant, mais avancer quand même envers et contre tout. Merveilleusement orchestrée, cette pièce qui démarre lentement gagne en intensité et en tonus au fur et au mur que s'égrènent les notes. Tricheries, illégitimité, exhortation à l'honnêteté et à la conjugaison des forces vives pour marquer le but. Enfin!


Semez l'amour Pour ceux qui en doutaient, Beethova Obas vient ici faire la preuve qu'il est un grand interprète. Qu'est-ce qui captive dans cette voix fortement nasale? Sans doute sa musicalité et cette capacité de traduire en mots nos émotions les plus intimes. Semez l'amour décliné sur un air de jazz est la chanson de la renaissance, cette invite à se dépasser et à continuer, au-delà de la souffrance, à offrir ce qu'on a de meilleur, ce don reçu avant même qu'on soit conçu, l'amour. Toujours l'amour.


Rien à cirer C'est décidément en français que Beethova se montre le plus philosophe. L'homme s'est déjà intéressé à la planète dans un précédent projet. Maintenant en quelques phrases bien senties, il résume le drame de l'homme actuel. Les crises, les problèmes d'immigration, la méfiance et l'amour à zéro…, tous ces maux qui rongent l'humanité sont évoqués en musique avec la complicité d'un Dominique Bérose en verve qui d'ailleurs, est un acteur essentiel de la réussite de cet album.


Yo 20 ans après la sortie de la première version de Tabou Combo (Zap zap), cette chanson reste vivante et actuelle. En duo avec la voix féminine du groupe Kassav', Jocelyne Beroard, Beethova revisite en konpa le drame des Boat-people haïtiens esquissé par deux légendes martiniquaises, l'écrivain Patrick Chamoiseau et l'auteur-compositeur Fred Désir. Dix ans plus tôt, ce fut au tour de Gina Dupervil sur son opus, Qui es-tu? (2000) de rappeler dans un konpa jazzy très coloré que le problème restait entier. Jocelyne Beroard pour sa part a déjà eu l'occasion d'éprouver une version plus ou moins semblable sur scène lors de la célébration des 30 ans de Tabou Combo au Zénith à Paris.


Wandaly Le maitre du verbe créole crée en Reggae macéré de Bossa Nova une ambiance fortement ancrée dans l'imaginaire haïtien. Mapou, grandou, rivyè, lobe… des mots qui évoquent des images de la vie paysanne. Cette innocence perdue, cette communion avec la nature et ces amours simples, platoniques, purs comme le feu, qui ne souffrent d'aucune interférence, comme dans un roman de Dany Laferrière. Et puisqu'il faut non seulement semer l'amour, mais aussi le célébrer, le rythme va crescendo et se transforme en une espèce de manif improvisée aux sons du rara rassembleur. À tous les coups, l'amour triomphe.


Vallès Latry

14 avril 2011

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